Fuyant l’arrivée au pouvoir de Hitler, la famille d’Evelyn Hofer va d’abord émigrer en Suisse, où Evelyn suivra à Bâle et à Zurich les cours de photographie du charismatique Hans Finsler. Suivant le même chemin et les mêmes professeurs que Robert Frank, Evelyn Hofer s’installe à New York à l’âge de 24 ans. C’est l’endroit où il faut être, où les carrières artistiques se jouent. Alexey Brodovitch, directeur artistique du magazine Harper’s Bazaar, lui passe ses premières commandes pour des magazines prestigieux comme Vogue ou le New York Times. Mais elle montre peu de passion pour les commandes de mode et son industrie, et elle préfère, contrairement à William Klein et Robert Frank qui arpentent le bitume des mêmes trottoirs, adopter définitivement la chambre photographique et son lourd trépied comme outils de prédilection. Eux sont happés par la frénésie de la ville qu’ils saisissent au Leica, à la volée, marchant au cœur des foules, embrassant les visages et les situations de manière anonyme, puis tournant les talons, d’un sujet à l’autre, guidés comme des jazzmans ou des danseurs par la partition cinétique de la ville qui ne s’arrête ni ne sommeille jamais. Evelyn Hofer semble préférer les vraies rencontres, ses photographies de rue sont des portraits, toutes ses images sont des portraits, même les vues architecturales ou les objets de ses natures mortes semblent poser pour elle. Avec l’écrivain Victor Sawdon Pritchett, elle travaille à un projet de livre sur New York, et c’est dans ce cadre qu’elle réalisera la plupart de ses vues de la ville. Elle travaille alternativement en couleur et en noir et blanc, à une époque où la couleur reste exclue du champ des arts. Avant les grandes stars. Avant Eggleston. Avant Stephen Shore. Les tirages couleur d’époque, des dye transfers, nous baignent dans un sentiment nappé d’intemporalité. Si tous les portraits sont posés, ils n’en ont pourtant jamais l’apparence artificielle. Quand August Sander photographie des catégories sociales, Evelyn Hofer photographie tout simplement des personnes. Marchand de hot dogs, livreur de lait, portier ou policier de Brooklyn, Manhattan ou Harlem, la qualité des regards échangés avec ses sujets ne ment pas sur son tropisme pour les gens simples, pour ceux qui au quotidien font fonctionner cette cité de fer et de béton, qui domine par la hauteur et semble faire peu de cas des êtres et de leur survie. Les années des prises de vues, 1953 à 1975, sont aussi celles de Martin Luther King et des luttes pour les droits civiques, et l’affirmation de ces revendications semble transparaître dans les postures et les regards de nombreux clichés. Première exposition en France de cette photographe décrite par un critique du New York Times comme « la plus célèbre des photographes inconnus aux États-Unis ». Qui sait si c’est parce qu’elle est une femme, ou tout simplement parce qu’elle voulait rester discrète, fidèle à elle-même ?
Exposition réalisée en partenariat avec la Galerie m, Bochum, Allemagne, et le Centre photographique Rouen Normandie.
L’exposition est accompagnée de la projection du film Broadway by Light de William Klein (1958)