Voilà près de 5 ans qu’Éric Tabuchi et Nelly Monnier se sont donné la mission folle de photographier les 450 régions naturelles de l’Hexagone. Grandes de quelques dizaines de kilomètres, ces entités géographiques et culturelles ont des dimensions et une granularité appréhendables par l’homme. Au cœur de leur exploration, les deux artistes s’attachent à nos manières d’investir le paysage, de l’habiter, de le façonner. Les routes, les habitations, les commerces, les initiatives individuelles de construction, la typographie des enseignes, les noms des villages : ils traquent à la fois les invariants, les choses typiques et les écarts à la norme − qui, croisés, définissent une physionomie de nos modes de vies et de nos identités.
D’autres avant eux se sont essayés à l’analyse de cette littérature du paysage. Eugène Atget ou Walker Evans, ont partagé la même passion pour la poésie de ces objets architecturaux ordinaires, autrefois jugés « indignes » : la ponctuation des fenêtres, des vitrines ou des enseignes est porteuse de récits, d’imaginaire et d’informations.
L’ombre d’autres projets individuels plane sur l’Atlas des régions naturelles ; August Sander, dans sa tentative de faire le portrait de l’homme du XXe siècle, semble porté par la même naïveté et la même démesure. Le désir de Nelly Monnier et Éric Tabuchi de dresser en tandem un portrait en 22 000 images de la France, territoire de plus 500 000 km2 tient de la folie sinon de l’utopie.
À l’ivresse de la vitesse de notre époque, Nelly Monnier et Éric Tabuchi opposent l’éloge de la lenteur et des petites routes. C’est dans une petite automobile, à vitesse réduite, qu’ils sillonnent discrètement le paysage, ponctuant cet atlas imaginaire d’innombrables arrêts. On y découvre un catalogue des manières de vivre et de construire où le sublime jouxte le ridicule. Le parpaing, la brique, l’ardoise, la tôle ou la tuile nous disent autant la mondialisation que la volonté individuelle d’habiter le monde et d’exister de manière singulière. Leur regard est frontal, le ciel souvent couvert n’est pas là pour afficher une forme de déprime d’un monde en crise, mais pour tenter de le représenter dans l’étendue la plus large de ses détails et de ses nuances.
La somme des images de ce projet en cours est encyclopédique. Mais l’entreprise de cet inventaire n’est pas scientifique : il est comme un animal qui se nourrit et évolue de ses découvertes, et s’il paraît parfois moqueur, c’est pourtant avec une certaine tendresse qu’il nous engage à scruter enfin ces paysages que nous avons tellement vus, mais si peu regardés.