Nicolas Floc'h
Interview
09 décembre 2022–13 mars 2023

Dans le cadre de l’exposition Paysages Immergés”

À quoi peut bien penser cet humain, face à ce paysage paré de tous les prestiges de l’imaginaire ? Devant l’horizon scindant par le milieu la silhouette infinie qui sépare le ciel de la mer, aux quatre coins du monde, il marche vers elle, drainé par un magnétisme mystérieux.
Se rappelle-t-il naïvement les conditions originelles de la possibilité du vivant, par l’existence de l’eau, cet élément qui différencie la Terre des autres astres du système solaire − ou se trouve-t-il simplement face à lui-même ou son double, devant l’immensité, en réconciliation avec les premiers hommes, dans une intimité retrouvée de réalités plus grandes que lui ?
À l’ouest, rien de nouveau : sur Terre, l’homme est allé partout, surpuissant, il a tout découvert, tout cartographié, il en a fait proliférer les images, il y a puisé des ressources. Sous la mer, nos représentations sont plus déficientes. À quelques mètres de profondeur ou dans les grands fonds, la plus grande partie de la planète reste faiblement documentée, et la construction des représentations que nous en avons, souvent stéréotypées et naïves, a été largement déléguée à nos fantasmes. Nicolas Floc’h n’est ni un aventurier, ni un explorateur. Marin pêcheur à l’âge de 17 ans, puis artiste, il a fait progressivement de la représentation du monde sous-marin le cœur de son œuvre.
S’il travaille souvent en collaboration avec des scientifiques, c’est bien dans le champ de l’art qu’il s’inscrit : son but n’est pas d’annihiler ou de mettre à plat notre imaginaire et ses mythologies, mais de les étendre. Ses images en noir et blanc, en plan large, rappellent davantage celles des canyons du Colorado produites par les pionniers du paysage et de la photographie de l’Ouest américain à la fin du 19e siècle, que les images colorées centrées sur une faune exotique, produites et diffusées par les scientifiques et les médias de masse.
Les photographies de Nicolas Floc’h, réalisées en lumière naturelle, dessinent − comme s’il fallait recommencer du début le tracé de cet imaginaire à construire.
Et si ses études de la typologie des paysages l’emmènent dans le monde entier, c’est en Bretagne qu’il a entrepris le plus grand nombre de prises de vues et de plongées : en apnée ou en plongée bouteille, dans 70 sites de Saint-Nazaire à Saint-Malo.
Le vocabulaire se fait lui aussi poétique : forêts d’algues, tapis d’anémones, colonies d’étoiles de mer, étendues de laminaires, gorgones… Il nous laisserait volontiers dans un état méditatif, si ne se rappelait pas à nous la dimension politique de ce travail, et, en trame, l’urgence à décrire ces paysages en mutation constante sous la pression inquiétante des activités humaines. Les effets de celles-ci, conjugués à ceux du changement climatique sont palpables au fond des abysses comme sur le littoral − le glissement des écosystèmes est six fois plus rapide dans l’océan que sur la terre. La moitié de l’oxygène nécessaire au vivant provient des phytoplanctons et des organismes microscopiques unicellulaires présents dans les océans. L’eau est le mot clé de la vie. Les artistes se sont attachés depuis les années 70 à représenter les paysages terrestres − dans leurs nouvelles topographies − confrontés à la complexité de la globalisation et des lois du marché, chantres de la croyance d’une Terre envisagée comme une ressource illimitée. Ils avaient omis de représenter les océans, Nicolas Floc’h répare aujourd’hui cet oubli.

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