Ville de Calais
Henk Wildschut
30 septembre 2017–05 novembre 2018

Le livre Ville de Calais publié à l’occasion de l’exposition aux éditions GwinZegal a reçu le prix du livre d’auteur des Rencontres d’Arles 2017.

Espace François Mitterrand, Guingamp
École supérieure d’art d’avignon

Ville de Calais - © GwinZegal
Ville de Calais - © GwinZegal
Ville de Calais - © GwinZegal

35 kilomètres d’une eau froide séparent la France du Royaume-Uni. Cette frontière est pour beaucoup de migrants l’obstacle ultime de leur odyssée vers ce qui pour eux constitue l’Eldorado. Chassés de leur pays par la guerre ou la misère, ils se sont amassés là, livrés à eux-mêmes, dans la boue et le froid, sur cette dune que les journalistes ont appelée la jungle de Calais. Entre 2014 et 2016, ils sont passés de quelques centaines à sept mille. Avec l’aide d’associations et de nombreux Européens, le camp s’est transformé en bidonville — la vie s’est organisée. En quelques mois, constate l’ethnologue et anthropologue Michel Agier, on y a vu émerger des phénomènes d’aménagement de l’espace, de socialisation, d’échanges avec les habitants et de politisation des occupants, qui mettent en général des années à se développer. Le photographe Henk Wildschut en a tiré un document unique analysant la manière dont ce campement s’est structuré comme une petite ville, avec ses commerces, boulangeries, restaurants, lieux de culte et même une discothèque. Pendant une dizaine d’années, il s’est rendu à Calais d’innombrables fois. Non pas pour répondre à la commande d’une presse sclérosée, mais à sa propre initiative, dans la volonté de documenter et d’analyser ce phénomène si tristement contemporain. La photographie a changé. La pratique du photographe documentaire est aujourd’hui plus proche de celle de l’anthropologue que du photojournaliste. Il ne cherche plus l’image iconique ou illustrative ; il décrit, décortique, analyse — à la recherche de nouvelles formes. Henk Wildschut nous offre un regard distancié, loin de la dramatisation orchestrée et du sensationnel, comme s’il se refusait à tout jugement et voulait laisser au spectateur la possibilité de se forger une opinion. Son imagerie ne relève pas de l’anecdote ou du spectaculaire… À quoi bon pourraient servir les icônes ? À l’adoration, à la propagande, peu sans doute à la réflexion et à la construction.
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Ce que met Henk Wildschut en évidence, ce sont les petits détails de la genèse d’une cité. De quelle manière un simple lampadaire, posé là par le gouvernement pour la sécurité et la surveillance, au milieu d’un chemin boueux, structure la vie de la cité. Il était devenu inévitable d’en contourner le poteau, et c’est ce lieu qui est devenu spontanément le centre — incontournable — de la jungle, la première place publique du camp et le centre névralgique des commerces. Ceci s’est fait sans aucune réunion de concertation, sans étude d’opportunité, sans urbanistes et sans élus ; c’est la puissance de la masse qui a établi les fondements de cette ville de fortune structurée par une économie de survie. De manière systématique, à l’intervalle irrégulier de ses visites, Henk Wilsdschut photographie, depuis les mêmes points de vue, des changements radicaux ou discrets, l’église érythréenne brûlée puis reconstruite, les mosquées, mais aussi des visions plus poétiques, les jardins très simples plantés devant les maisons soudanaises, dont l’innocence et la fragilité laissent augurer l’espoir de l’arrivée d’un printemps et contrastent avec l’omniprésente froideur des matériaux de construction : la bâche, les palettes en bois, le plastique…
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Il nous raconte également les mécanismes d’une économie qui s’installe, les parcelles que les migrants se revendent entre eux, la concurrence du business des cigarettes, le fonctionnement de la boulangerie- épicerie Noor General Store, qui vendait jusqu’à 800 petits pains par jour, des cartes de téléphone — mais aussi des gants de jardinier pour escalader et franchir les barbelés. Dans ses portraits, Noor, Nake Amal, Aziz, Bilal… ne sont jamais représentés comme des victimes, et il se garde bien de résumer leur identité à leur statut de réfugiés ; ce moment di cile de leur vie n’est qu’un épisode de leur existence et non pas toute leur vie. Les portraits de Henk Wildschut les montrent comme les hommes qu’ils sont : dignes, courageux, des entrepreneurs en charge de leur destin, capables en un instant de tout quitter pour tout reconstruire.
De cette ville érigée sur l’impossibilité de rallier la Grande-Bretagne, expérience unique d’une cité cosmopolite nourrie de solidarité, il ne reste rien. En octobre 2016, les réfugiés ont été expulsés, déplacés. La fameuse jungle a été rasée au bulldozer. Mais la frontière, elle, est toujours là.
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Le livre Ville de Calais, édité aux Éditions GwinZegal, a reçu le Prix du livre d’auteur des Rencontres internationales de la photographie d’Arles 2017.
Il a été retenu, parmi plus de 800 ouvrages du monde entier, par un jury international présidé par Florian Ebner, chef du cabinet de la photographie du Centre Pompidou.

ÉVÉNEMENT EN LIEN AVEC L’EXPOSITION
Table Ronde Calais, ou la crise de l’hospitalité
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Damien Carême, Maire de Grande Synthe ville de l’agglomération de Dunkerque a pris la décision, avec le soutien de Médecins Sans Frontière, d’ouvrir en 2016 sur son territoire le 1er lieu humanitaire en Europe. Il réclame aujourd’hui, la mise en place d’une véritable politique migratoire globale et la création de structures de transit sur l’ensemble du littoral de la mer du nord de Calais à Grande-Synthe a n d’accueillir provisoirement les réfugiés.
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Utopia 56 est une association qui a géré le camp de Grande-Synthe au moment de sa création. Aujourd’hui, l’association est présente à Calais et à Paris, auprès des Centres d’accueil et d’orientation pour mobiliser et coordonner les bénévoles a n d’aider les réfugiés.
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Michel Agier est anthropologue, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement et directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales. Depuis 2000, ses enseignements, recherches et publications se sont orientés vers une anthropologie des déplacements et des logiques urbaines. Les enquêtes ont porté
sur les espaces de regroupement des personnes déplacées, réfugiées et exilées. Plus récemment, il s’est intéressé aux situations de transit, de passage ou de xation des migrants entre Afrique, Proche-Orient et Europe.
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Edouard Courcelle de SOS Méditerranée est un marin pêcheur habitant à Pleubian. Il effectue des missions de sauvetage en mer de migrants au large des Côtes libyennes à bord de l’Aquarius. SOS Méditerranée a également pour mission de sensibiliser l’opinion publique et les décideurs sur la réalité de la migration.
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À travers un débat croisé, ces quatre intervenants s’interrogeront et nous interrogeront sur les raisons qui poussent des centaines de milliers de personnes à se lancer sur les routes de l’exil, et sur les conditions humaines nécessaires pour les accueillir.

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