L’Image documentaire
Exposition collective
24 juin–31 juillet 2011

Chris Killip
Mathieu Pernot
Henri Salesse 

Espace François Mitterrand
Studio GwinZegal, Guingamp
Espace Hermine, Plouha

Henri Salesse, Chris Killip et Mathieu Pernot ont produit des séries documentaires qui s’attachent, à travers la photographie, à rendre compte d’une réalité sociale multiple. Leur position personnelle vis-à-vis du statut de photographe, les différentes périodes auxquelles les travaux ont été réalisés, les choix parfois éloignés de la forme adoptée participent de l’intérêt, à nos yeux, de mettre en écho ces trois travaux et de souligner la permanence des enjeux et interrogations soulevées par la représentation de réalités complexes. Ces expositions viennent également rappeler notre travail d’éditeur, avec d’une part Enquêtes Photographiques d’Henri Salesse, réalisé en partenariat avec le Pôle Image Haute-Normandie et d’autre part Seacoal de Chris Killip, co-édité avec les éditions Steidl, et réalisé en partenariat avec Florian Ebner, Directeur du Museum für Photographie de Braunschweig en Allemagne.

Chris Killip — Seacoal

Près de 30 ans depuis que Chris Killip a portraituré pendant un an et demi le travail et la vie des collecteurs de charbon à Lynemouth, en partageant au quotidien leur existence. Ces photographies sont aujourd’hui réunies dans une exposition et une monographie co-édité par Steidl et Gwinzegal. Ces images nous transportent au cœur du campement de caravanes de cette communauté à la marge de la société, montrent leurs visages, les gestes de leur travail, leur épuisement.

Le concept du livre et de l’exposition Seacoal construit un récit détaillé à partir de la richesse du matériau de prise de vue ; la succession séquentielle aussi bien que la juxtaposition des images lui permettent de décrire toutes les facettes d’une existence précaire. En cela c’est un livre différent, beaucoup plus narratif que le célèbre essai photographique de Chris Killip In Flagrante (1988), dans lequel, à côté de nombreuses autres images du Nord de l’Angleterre, on trouve également quinze photographies extraites du projet Seacoal.

À partir de cinquante photographies effectuées entre 1975 et 1987, Chris Killip esquissait, dans In Flagrante, le visage d’une époque marquée par la dépression économique et sociale de cette région qui a suivi le déclin et la privatisation de l’industrie lourde traditionnelle et de l’exploitation minière. Ainsi la forme narrative qu’il utilise est associative et formelle, les protagonistes des images, sans nom et sans origine, ne sont pas là pour eux-mêmes mais comme archétypes d’une variété de destins, ou, sociologiquement parlant, d’une classe donnée. Ces images ont pu être décrites comme des allégories, à la manière de personnages sur une scène de théâtre, qui seraient les allégories de destins et de passions. C’est de cela, en plus de la qualité des images, que le livre In Flagrante tire sa puissance abstraite.

Seacoal marque le retour des protagonistes ; les quinze photographies déjà connues sont réunies dans un tableau d’ensemble dont les personnages émergent pour en n devenir des personnes. Avec le livre de Chris Killip, c’est aussi une certaine forme de narration depuis longtemps passée de mode dans le domaine artistique qui fait son retour : la description à la manière d’un reportage presque romanesque de la réalité. Les images élégiaques de Seacoal ne revendiquent plus l’autonomie d’une page ou d’une double page, contrairement à In Flagrante ; elles sont plutôt l’objet d’une suite rythmique qui met en lumière sous toutes ses facettes une activité apparemment archaïque aux frontières du monde industriel – avec un regard insistant qui est devenu rare aujourd’hui. Dans Seacoal, la narration de Chris Killip suit une forme épique, et non plus, comme dans In Flagrante, une forme dramatique. Ses personnages portent en n des noms, et cela n’est pas seulement lié au fait que les protagonistes de ses images, presque trente ans après, ne courent plus le danger d’être accusés d’exercer une activité illégale. Les membres de la famille Laidler peuvent désormais apparaître comme une famille, et nous faire voir que la proximité du photographe avec ses modèles s’est transformée en amitié.

Aujourd’hui, la série Seacoal est représentative d’un chapitre de l’histoire britannique récente, mais aussi d’une certaine position photographique, qui combine une documentation à long terme avec la description de la vie quotidienne d’un groupe social. Le terme vernaculaire peut être utilisé pour signi er la spéci cité d’une culture locale ; le vernaculaire en tant qu’intérêt et expression d’une position artistique semble pourtant n’avoir aucune adéquation dans un monde globalisé. C’est pourquoi aujourd’hui, eu égard à notre prétention postmoderne face à des cultures que nous comprenons à peine, une confrontation avec les images de Chris Killip semble d’autant plus pro table. Florian Ebner. Le retour des personnages en tant que personnes

Mathieu Pernot — Périphéries

Les travaux de Mathieu Pernot réunis dans ce parcours participent d’un projet sur « penser l’espace urbain » et ses marges. L’espace dont il est question ici est dans un état « d’entre deux » avec ses fragilités, ses déséquilibres, sa complexité. Mathieu Pernot ne nous livre pas un point de vue. Il [r]assemble des fragments (Les Migrants, Les Hurleurs, Jungle, Photomaton, Roumanie) d’une même facette de cette réalité. Ce faisant il reconstitue une cohérence visuelle que notre expérience quotidienne d’un ot discontinu d’informations et de sollicitations ne nous permet plus de percevoir avec autant d’acuité. En ce sens le projet de Mathieu Pernot est un projet politique.

Comme l’écrivait Christian Caujolle il afirme l’eficacité, aujourd’hui, d’une photographie acceptée d’abord comme document et désigne implicitement les dérives séduisantes et nalement vaines de certaines approches contemporaines. Chez lui, avant la photographie, il y a toujours une analyse précise, une pensée à l’œuvre et qu’il met en pratique pour la rendre lisible. Dans la Grèce antique politikos s’appliquait à tout ce qui concernait la vie de la cité. C’est en ce sens – et en incluant la question de la fonction des images à l’analyse globale – que la photographie de Mathieu Pernot est, vraiment, politique.

Dans la démarche de Mathieu Pernot et depuis ses premiers travaux à Arles à l’École Nationale Supérieure de la Photographie le temps qui précède l’acte de prise de vue occupe une place centrale. Dans un entretien avec Anna Malagrida, à l’occasion des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles en 1997, Mathieu Pernot exprimait déjà ce besoin de distance : ce que je vois est plus important que la manière dont je le vois. Il y a d’abord le sujet et la conscience de celui-ci. La photographie ne vient qu’après.

Henri Salesse — Enquête Photographiques

Henri Salesse a travaillé, dans l’immédiate après seconde guerre mondiale, comme opérateur photographique rattaché au Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU). La production du MRU, à l’instar de la production de la section photographique de la Farm Security Administration aux États-Unis (FSA) est en premier lieu au service d’objectifs politiques. Même si comme le souligne Dominique Gauthey dans un article d’Études Photographiques, cette production importante du MRU (53 000 clichés) ne doit pas être appréhendée comme le re et exact de l’activité du Ministère mais plutôt comme sa trace, en ce sens que les documents conservés illustrent surtout les axes déterminants de sa politique et ses réalisations sur le terrain.

C’est en travaillant sur une part spéci que de ce fond important, que Didier Mouchel va progressivement mettre à jour la qualité photographique particulière de la production d’Henri Salesse. Le travail mené par le photographe à Rouen en 1951 et Petit-Quévilly en 1952 dévoile un regard remarquable qui tranche avec une grande part de la production du MRU. Il en va du travail du service photographique du MRU, comme de celui de la FSA. Au-delà de l’intérêt réel de ces fonds pour le chercheur, il reste la production singulière de certains acteurs. Qui aujourd’hui se souvient de l’œuvre photographique de Harold Corsini, Sol Libsohn, Carl Mydans ? Peu probablement. Walker Evans, Dorothéa Lange, Gordon Parks auront chacun à leur manière marqué l’histoire de la production photographique américaine. Sans doute en ira-t-il ainsi d’Henri Salesse. Il y a peut-être une part d’injustice dans ce constat, mais il y a bien plus la reconnaissance d’un talent particulier et d’une juste attention à celles et ceux qu’il a photographiés pour les besoins d’un service d’un ministère dont ces hommes, ces femmes et ces enfants, ne se souciaient guère. Henri Salesse n’a sans doute jamais imaginé que son travail «d’opérateur du service photographique du MRU» ferait un jour l’objet d’un livre et d’expositions et qu’il rencontrerait un intérêt aussi important. Pour autant fallait-il laisser ce travail à son statut d’archives et de documents, objets de recherches ? La question mérite sans doute d’être posée et débattue. La seule réponse que l’on peut aujourd’hui apporter avec une certaine certitude c’est le fort intérêt des publics qui ont déjà eu l’occasion de découvrir ce travail.

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