Poésie de l’intime
Claude Batho et Anni Leppälä
September 29–November 19, 2016

Espace François Mitterrand,
Guingamp

Poésie de l’intime - © GwinZegal
Poésie de l’intime - © GwinZegal
Poésie de l’intime - © GwinZegal
Poésie de l’intime - © GwinZegal
Poésie de l’intime - © GwinZegal
Poésie de l’intime - © GwinZegal

Fais apparaître ce qui sans toi ne serait peut-être jamais vu. 
Robert Bresson, Notes sur le cinématographe.
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Deux photographes, deux femmes, venues d’horizons et de cultures totalement différentes, nous donnent à lire leur univers personnels et atypiques.
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Claude Batho (1935−1981) s’est attachée aux objets les plus simples qui constituaient son quotidien, aux paysages familiers, à son proche entourage. La simplicité apparente des représentations cède la place à la sensibilité, à une beauté silencieuse. Cette simplicité se fait poésie et triomphe de la banalité. Geste de femme, la photographie de Claude Batho se lit comme un journal intime dont les sujets ne seraient pas les moments extraordinaires de l’existence mais bien les instants insignifiants et nalement immuables.
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Extrait du texte de François Cheval, publié dans le livre édité à l’occasion de l’exposition. Co-édition GwinZegal /​musée Nicéphore Niépce
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Maintenant que le temps s’est défait, on peut revoir sereinement les photographies de Claude Batho. Il y a dans ce rassemblement, qui n’a rien d’épars et d’hasardeux, un sentiment de durée au-delà des limites d’une vie. L’oeuvre a singulièrement bien vieilli. On aimerait tant qu’elle et ses proches se retrouvent dans le nouveau portrait établi ici, plus de trente ans après sa disparition. Car tout paraît simple dans ces images. La photographie s’est voulue la copie conforme de la vie familiale ; une pratique empreinte de tendresse, faite de gestes quotidiens et humbles : quand les images s’attachent à une « réalité » pratique jamais très loin du songe. […]
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Tel est l’effort instinctif de la photographe qui s’ingénie à discerner dans des gures nettes la beauté informelle du monde. C’est son grand mérite. Elle ne se décerne aucune vertu spéci que, ne s’accorde aucun privilège. Elle ne crée aucune situation originale qui ne soit en dehors du réel. Mais elle fait de l’acte photographique un objet original parce que claudiquant, en porte-à-faux. Spectateur, on se reconnaît dans ces images alors que l’objet restera à jamais unique. Le sort d’une photographie réussie est là. Tout est vrai et rien ne l’est. Cet univers unique et autonome a ses propres lois. Il s’impose à nous de telle sorte qu’on ne puisse le discuter. Cet état que l’on veut protéger precede la catastrophe. L’avenir est une menace. Saisir un cadrage, c’est examiner ce qui nous appartient et dont on ne veut être dépossédé. Ce qui nous est en propre, ce sont ces objets dans leur disposition. Ils se tiennent en eux-mêmes et dans leur différence, ils sont un autre nous. De leur usage, on s’en moque. Leur sens nous échappe. Leur nudité seule importe. Par ce qu’ils convoquent, ils dépassent leur fonction utilitaire pour être simultanément chose et idée. Les objets entrevus portent en eux l’image ancestrale de l’offrande. Il n’y a guère de photographie qui ne soit pas un rituel, un hommage rendu quotidiennement aux puissances vitales. Par là, Claude Batho se place non face à la nature mais en son centre. Elle pense l’acte photographique dans un face à face avec la perte, sans nostalgie, dans un camaïeu de gris mélancolique.
L’exposition de Claude Batho est coproduite avec le musée Nicéphore-Niépce de Chalon-sur-Saône.
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Anni Leppälä, jeune photographe nlandaise née en 1981, par un jeu d’images, des combinaisons différentes à chaque exposition, tisse une narration délicate qui n’a rien de linéaire et qui évoque un imaginaire, une littérature d’un autre temps. Par des mises en scènes proches du théâtre, par des paysages, des atmosphères, des photographies de son entourage, de sa petite sœur, de personnages masqués, évoquant tantôt la peinture du XIXe siècle, tantôt les écrits de Rainer Maria Rilke, elle crée un nouveau langage dans lequel le spectateur est invité à se perdre et à voir apparaître ses propres sensations ou souvenirs.
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Dire d’une photographe qu’elle ressemble à ses images peut sembler une introduction convenue. Dans le cas d’Annie Leppälä, il se dégage de cette rencontre le même mystère, le même ottement, comme si la réalité semblait reléguée au rang de problème super ciel. Contrairement à de nombreux artistes, Anni Leppälä ne travaille pas vraiment par séries. Elle a constitué très tôt un corpus d’images, qu’elle nourrit et réagence sans cesse dans des combinaisons et des installations originales. L’atmosphère, la lumière du Nord, la présence forte de la nature nous confortent dans ce que nous savons déjà de ses origines nlandaises. Pour le reste, quelques paysages, un coin de végétation, une maison de famille proche de l’abandon, une petite lle, un masque, des personnes dont on ne connaît ni l’histoire ni le lien qui les unit au photographe — souvent de dos, oues, masquées ou encore cachées derrière un rideau de cheveux, comme pour séparer le dehors du dedans. Les personnes photographiées changent de statut et deviennent les personnages d’énigmatiques ctions. La photographe emprunte au théâtre certains de ses accessoires : le velours, le masque, le costume, la mise en scène, les décors en carton ; mais c’est à la littérature qu’elle emprunte la métaphore, l’ellipse, pour produire des images pleines d’évocations fragiles. Elle a fait siennes les lettres de Rainer Maria Rilke qu’elle admire : Fuyez les grands sujets pour ceux que votre quotidien vous offre. […] Utilisez pour vous exprimer les choses qui vous entourent, les images de vos songes, les objets de vos souvenirs.
Au mur, à l’aide d’une grammaire expérimentale et secrète, elle lie les images avec une grande précision comme pour tisser un paysage mental complexe — sujet à multiples interprétations et qui serait pour lors impossible à retranscrire autrement que par la photographie.
Anni Leppälä prend à rebours l’outil photographique : au regard de ses images, rien de palpable ne semble s’être passé. On n’en sait pas beaucoup plus de l’histoire qu’elle souhaite nous murmurer, on ne peut que se laisser glisser pour deviner et reconnaître par bribes certains souvenirs ou certains morceaux confondus de notre histoire et de la sienne.

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