Le livre ‘Chemises’ accompagne l’exposition aux Editions Steidl – GwinZegal
Mali, années 60. Dans l’ambiance joyeuse du pays qui vient tout juste d’accéder à l’indépendance, Malick Sidibé, jeune photographe, circule à bicyclette de mariages en surprises-parties. C’est le temps des yéyés, du twist, des 45 tours et ses images respirent l’insouciance. Les portraits sont pris sur le vif au ash, ils xent la spontanéité d’une jeunesse euphorique qui cherche sa place au sein d’une société en pleine mutation.
Le Centre d’Art GwinZegal présente le travail de ce photographe emblématiqued’uneAfriquedécomplexéeàtraversunesélectionde«chemises » originales, fruit de ses tournées nocturnes. Elles seront accompagnées d’une petite série de portraits réalisés au sein du « Studio Malick », de la projection d’une interview du photographe (20 min.) et de la série des images réalisées par Malick Sidibé sur le territoire de la Communauté de Communes de Lanvollon Plouha à l’été 2006.
Il aura fallu attendre 1994 et les premières « Rencontres de la Photographie de Bamako » pour que l’on découvre en France le travail de Malick Sidibé. Depuis, de nombreux prix jalonnent sa carrière. Ainsi en 2007, il sera le premier photographe à recevoir un Lion d’or à la Biennale de Venise pour l’ensemble de sa carrière. Une reconnaissance tardive pour cet homme qui ne s’est jamais considéré comme un artiste. Malick Sidibé débute sa carrière de manière traditionnelle en Afrique, à savoir comme assistant d’un photographe français installé à Bamako. À la n des années 50, le marché de la photo-souvenir se développe et il va couvrir les multiples soirées organisées par la classe moyenne bamakoise. Peu après l’indépendance en 1960, il ouvre son propre studio : le « Studio Malick », et rencontre rapidement un grand succès.
Les jeunes maliens participent de l’émancipation politique et culturelle de leur pays. Le Mali, alors en plein essor, s’ouvre à la musique et à la mode occidentales. Malick Sidibé assiste à tous les événements organisés dans la capitale. Il sillonne mariages, baptêmes, bals populaires et surprises-parties. Le Mali se met en scène. Les participants tiennent à se montrer parés de leurs plus belles tenues. Dans un désir commun d’exhibition, ils demandent au photographe de tirer leurs portraits, d’immortaliser leurs pas de danse et de capturer des instantanés de la fête. À son retour au studio, Malick développe les photographies de ses sorties nocturnes, puis colle les petits tirages sur des chemises cartonnées pastel. Une fois les références de la soirée annotées à la main, les chemises sont exposées en vitrine de son studio. Les joyeux noctambules passent ensuite dans la semaine pour s’admirer, faire leur choix et commander des photographies souvenirs. Plus tard, c’est le portrait commercial en studio qui va constituer la majeure partie du travail de Malick Sidibé. Sa clientèle reste jeune, et vient en grande partie de Bagadadji, quartier populaire dans lequel est installé son studio. De nombreux clients passent au studio le soir avant de se rendre dans des clubs au centre ville. Cherchant leur place dans cette nouvelle société malienne, ils veulent, pour la postérité, s’af cher avec leur nouveau costume, leur montre ou leur moto dernier cri, etc. Ils se construisent par la photographie une autre image d’eux- mêmes, inspirée des posters et pochettes de chanteurs à la mode.
Les portraits de studio de Malick Sidibé gardent la spontanéité de ses reportages qui ont fait sa renommée dans toute la capitale. Ils sont très éloignés des portraits photographiques occidentaux très statiques de la même époque. Plutôt que de poser assis, ou de se faire représenter en buste, le modèle semble jouer un rôle, incarner un personnage. Une grande part de liberté semble lui avoir été accordée par le photographe. L’insolite surgit alors parfois de poses incongrues, de postures arti cielles. La lecture et l’interprétation de certaines images est parfois dif cile. On ne connaît aujourd’hui ni l’intention, ni les motivations toutes personnelles des protagonistes. Les légendes attribuées récemment par Malick Sidibé à ces images : « les faux fumeurs », « Avec mon soutien-gorge et mon slip», n’apportent aucun éclairage direct.
Les photographies de Malick Sidibé sont très populaires parce qu’elles évoquent la nostalgie d’un pays sortant du colonialisme, plein d’espoir. Mais aussi parce qu’elles dépassent cette dimension historique, pour devenir des moments de poésie pure. Ce qui nous fascine aujourd’hui dans ces images c’est la sensibilité et l’humour qui s’en dégage, la conscience du photographe que tout ceci n’est qu’un jeu.