Depuis une quinzaine d’années, Aurore Bagarry photographie les formations sculpturales des glaciers des Alpes, du littoral rocheux de la Manche et plus récemment des côtes de l’Atlantique, en passant par la Gironde et la Bretagne jusqu’à la Martinique et la Guadeloupe.
Le répertoire de formes ainsi produit renvoie à une pratique déjà amplement présente chez les pionniers de la photographie de la fin du XIXe siècle — typologies, herbiers ou inventaires — qui visait souvent autant à documenter la nature qu’à la domestiquer. Si le rocambolesque des expéditions est estompé par le progrès des moyens de locomotion, le matériel photographique imposant qu’elle utilise aujourd’hui encore s’en approche. À la chambre photographique, c’est avec la même obsession du détail, la réfraction des couleurs ou encore le bruissement des lumières qu’elle tente de renouer. Ce qui se joue dans les photographies d’Aurore Bagarry nous emporte à la confluence d’éléments en apparence impossibles à réconcilier, vers le vertige du temps, celui d’une Terre vieille de plusieurs milliards d’années qui rencontre et éprouve le temps des hommes, infime en comparaison. Le littoral est le lieu privilégié d’une réflexion sur le temps : il incarne à la fois la mémoire des changements lents et l’urgence des transformations actuelles. La fluidité de l’eau, sa douceur, sa forme qui épouse le sol par le bas pourraient nous faire croire à sa candeur : elle contourne, passive. Mais c’est bien elle, en douceur, qui dessine les cavernes et les crevasses. La roche se découpe par plans nettement articulés et laisse voir les couches qui ont poussé les unes contre les autres pendant des millénaires. Le vent souffle du continent et repousse l’océan avant qu’il ne se couche, féroce encore, sur le granite. Le sol se déforme, les dalles de pierre glissent les unes sous les autres, le minéral s’érode.
Les végétaux luttent avec la flèche du temps. Les photographies de paysage d’Aurore Bagarry ne se réduisent pas au témoignage géologique ou à un jeu d’échelles, elles n’énoncent pas et ne défendent pas la promesse d’une théorie, mais elles ouvrent un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur, vers une immensité dont les forces nous dépassent.
Le projet De la côte a été réalisé dans le cadre de la résidence de recherche et création « Grand Ouest » soutenue par la Fondation d’entreprise Neuflize OBC et les Ateliers Médicis et avec l’aide individuelle à la création de la DRAC Bretagne.
Exposition en partenariat avec le FRAC Bretagne et Passerelle Centre d’art contemporain.