Après un temps de dialogue entre Florian Fouché et Joana Masó, chercheuse et commissaire d’exposition, Sandra Alvarez de Toledo, directrice des éditions L’Arachnéen et Martin Molina, chercheur et réalisateur, viendront nous parler du cinéma de Fernand Deligny.

18h, DISCUSSION ENTRE FLORIAN FOUCHÉ ET JOANA MASO
Les expositions, les sculptures et les films de Florian Fouché font communiquer les espaces de l’expérimentation artistique avec des explorations de gestes, de formes et de lieux liés au soin. Le musée et l’hôpital y communiquent à travers la passerelle de la vie assistée et des « actions proches », qui font résonner la formule « vivre en ‘présences proches’ » forgée par l’éducateur et écrivain Fernand Deligny pour qualifier son réseau d’accompagnement d’enfants psychotiques mutiques.
Joana Masó retrace les trouvailles formelles du psychiatre François Tosquelles qui l’ont amené à transformer les institutions psychiatriques de son époque grâce à des dispositifs collectifs, à la circulation de la parole et à des transferts éclatés. Comme Deligny, Tosquelles avait fait le pari des relations informelles. Si Deligny a travaillé avec des ouvriers au chômage et d’anciens détenus, Tosquelles a collaboré avec des religieuses, des musiciens ou encore des travailleuses du sexe. Si les deux n’ont pas partagé un même rapport à l’institution, au soin et, surtout, à la cure, ils ont tous deux pensé et tenté de conjurer la phobie de la folie par le choix des formes.
Ces explorations défient aujourd’hui les versions molles du care que répand le discours néolibéral, y compris au musée, pour nous situer dans un monde traversé par des vulnérabilités partagées de toutes sortes.
Joana Masó enseigne la littérature française à l’Université de Barcelone, où elle est chercheuse à la chaire UNESCO Femmes, développement et cultures. Commissaire d’exposition, elle travaille à la croisée de la littérature, l’art contemporain et le genre.
19H, CONFÉRENCE À PROPOS DE FERNAND DELIGNY PAR SANDRA ALVAREZ DE TOLEDO ET MARTIN MOLINA GOLA
Il faudrait inventer la caméra bigle.
En 1978 Fernand Deligny écrit le premier d’une série de textes à propos de « camérer », dans lesquels il propose une pratique singulière du cinéma et quelque chose comme une théorie poétique de l’image. Alors que la vidéo tourne dans les aires de séjour et glane des images, il se remémore ses propres expériences de cinéma, le tournage du film le Moindre Geste, et imagine des projets de films, comme celui qui consisterait à enregistrer en temps réel la fonte d’un iceberg. Deligny pense à l’histoire et à la mémoire qu’il conçoit comme résolument double. À côté de la mémoire ethnique, il y aurait une mémoire spécifique, ou aberrante, dans laquelle des images persistent « comme des esquilles de ferraille dans la chair d’un ancien combattant », écrit-il. Afin de faire lieu et place à cette autre mémoire il imagine non seulement des films « à faire » mais aussi des outils, comme celui de la caméra bigle. Nous proposons de suivre le fil des mots et des images de son texte, afin de donner à voir quelque chose de ce « simplement humain » qui se cache dans et au-delà des images.
Sandra Alvarez de Toledo est commissaire d’exposition et fondatrice des éditions l’Arachnéen. Martín Molina Gola est chercheur en histoire du cinéma, il explore les croisements entre cinéma, cartographie et pratiques artistiques au sein des réseaux organisés par Fernand Deligny.
Alors camérer ?
Ça serait profiter de cette petite chambre à moudre pour bigler un peu vers autre chose que le cours même des événements qui sont ce qu’ils sont, étant vécus par des hommes, vécus c’est beaucoup dire, quoi qu’on en dise quand il s’agit d’un film de fiction.
Autre chose ?
Ces choses qui touchent, qui font émoi, on ne sait pas du tout pourquoi. Elles échappent à l’histoire, avec ou sans majuscule, mais, sans elles, l’histoire ne serait pas ce qu’elle est.
C’est un bien joli verbe que bigler. Il y aurait comme deux oculare, deux oculaires, et non point pour voir en relief, deux oculaires, comme il y a deux mémoires, si bien que le on qui tourne aurait comme un œil qui traîne en quête de ce qu’il pourrait bien y avoir de simplement humain, ne serait-ce que des bribes, outre et par-delà la scène scénariée.
Il faudrait inventer la caméra bigle.
